Abdoul Bocar Kane

Abdul Bocar Kane (ou Abdul Boubacar Kane) est né en 1831 à Dabia Odeji au Fouta, dans la province du Bosseya (actuelle région de Matam au Sénégal). Il est l’un des derniers résistants à la pénétration française en Afrique,
dans la seconde moitié du 19ème siècle. Il meurt en août 1891, assassiné par ses alliés maures sur ordre des
français.

Abdul Bocar Kane (ou Abdul Boubacar Kane) est né en 1831 à Dabia Odeji au Fouta, dans la province du Bosseya (actuelle région de Matam au Sénégal). Il est l’un des derniers résistants à la pénétration française en Afrique, dans la seconde moitié du 19ème siècle.
Il meurt en août 1891, assassiné par ses alliés maures sur ordre des français.

Son Parcours

Fils de Bocar Ali Dundu dont le père Ali Dundu était un des grands électeurs (Jaagorde) des Almaamis du Fouta et de Dieynaba Elimane Hane, il savait lire et écrire en arabe. Abdul Bocar a une adolescence de guerrier. Chef de troupe à 10 ans, meneur parmi ses camarades, dès 20 ans il est décrit comme extrêmement courageux, combattant les maures razzieurs qui enlevaient les enfants du Fouta pour aller en faire des esclaves. Il est décrit comme ayant 2 qualités essentielles : désir ardent pour le pouvoir et dédain pour l’accumulation de richesses. Il était une sorte de Robin des Bois. En 1858 il entre en rébellion en refusant la proposition du Saint homme Cheikh Oumar Foutiyou Tall d’émigrer pour le jihad, arguant que l’émigration allait dégarnir le Fouta de ses forces vives censées résister à l’envahisseur français. En automne 1859, reconnu comme le principal résistant à la pénétration française au Fouta, il monta une alliance avec le roi Sambala Hawa du Khasso, Bocar Saada du Boundou et les gens de Galam et Guidimakha afin de faire revenir ceux qui avaient été contraints à l’exil.

Climat politique du Fuuta à son époque

L’Etat qui existait au  Fuuta depuis la révolution menée par Ceerno Souleymane Baal contre le régime des Satiguis en 1776 était solide et reposait au plan idéologique sur des bases islamiques, avec à sa tête un Almaami. Les gens de Saint Louis (les Français) étaient considérés
au Fuuta comme des infidèles dont  la présence sur le sol fuutanke serait perçue comme une souillure. Cependant, depuis l’assassinat de l’Almaami Abdul Qadiri Kane le 4 Avril 1807, une instabilité  politique s’était emparée du pays. Pour être Almaami, il fallait être élu par un Conseil Electoral restreint composé de Grands Electeurs, ou Jaagorɗe, tous issus des grandes  familles du Fuuta central (Yirlaaɓe-Heb biyaaɓe, Booseya). Chaque grande famille était  représentée par un Grand Electeur. Le Booseya demeure incontournable dans l’organisation politique du Fuuta. Etant majoritaire au  Conseil Electoral, cette province a su toujours nommer et révoquer les Almaamis à sa guise. Telle était l’organisation géographique, sociale et politique du Booseya avant et  pendant l’avènement d’Abdul Bookar Kane dans la scène politico- militaire du Fuuta.  Le Booseya est aussi le dernier bastion de la résistance contre la pénétration coloniale. Chef de guerre, acteur politique, et diplomate, Abdul Bocar Kane règne sur le Fouta Central de 1855 à sa mort en 1891. Trente années durant, de 1860 à 1891 il oppose une résistance farouche à la colonisation française. Ce n’est qu’à sa mort perpétrée par ses alliés maures corrompus par les français que le Fouta basculera totalement sous domination française.

Les débuts de la résistance

Sa prise d’armes contre les français débute avec ce qu’on a appelé la Mission Negroni qui avait des allures de provocation. En 1862 le gouverneur Jauréguiberry remplace Faidherbe et avait pour mission d’étendre sinon de sauvegarder l’influence et le développement du commerce français dans toute la vallée du fleuve Sénégal. Dès sa prise de fonction, il envoya au Fouta une colonne de 100 soldats d’infanterie dirigée par l’officier de marine Negroni. Traversant le Booseya, la mission Negroni est attaquée par Abdul Bocar qui l’oblige à rebrousser chemin et retourner à Saint Louis. C’est le début d’une longue confrontation qui devait durer 30 ans, durant lequel il aura à affronter pas moins de 18 gouverneurs français.
Décrit comme simple, intelligent et courageux, il était d’une grande franchise. En 1866, le commandant de Bakkel donne un témoignage sur lui : « Ses explications sont franches et ce chef coutumier a une intelligence de ses intérêts et même les exprime avec une rare  impudence. » Ernest Noirot, commandant de Saldé dit ceci au gouverneur du Sénégal  en 1887 : « Il est un homme grand, d’apparence un peu austère. Son visage est  intelligent avec un nez relevé en signe de finesse. Ses yeux sont alertes et, ce qui est  rare chez ses contemporains, il vous regarde droit dans les yeux avec une intensité  comme pour lire dans vos pensées. Une protubérance minuscule déforme quelque  peu son sourcil gauche. Pour ce qui est de ses habits, ils sont extrêmement simples mais propres. Rien en lui n’indique un chef redoutable. A en croire ses courtisans, les  habits qu’Abdul porte sont les seuls qu’il possède. »
Véritable stratège militaire, Abdul  Bookar sait attaquer et se replier au bon moment. Il sait allier combinaison intelligente de l’offensive et de la retraite. Un parfait exemple nous est donné en 1855 : quand il  combattit avec El Hadj Omar au Bundu, il décida d’une retraite devant l’arrivée de renforts français, décision qu’El Hadj Omar critiqua vivement. Il n’attaquait jamais l’armée coloniale de face mais sur les flancs surtout après les premières campagnes militaires des années 1860.

Alliance politique et militaire et non respect des traités​

A l’interne il s’entoure de ses cousins et oncles, de guerriers aguerris choisis dans les différentes contrées qui fournissent des
contingents pour ses campagnes militaires. Il lie des alliances avec les chefs locaux autonomes : les maures, les soninkés, les torobés.
Très souvent des alliances matrimoniales. Il lie aussi des alliances externes en épousant la nièce du Roi du Bundu (Sénégal Oriental)
Bookar Saada en la personne de Jiba Hamady Saada. Il épouse également la fille du Roi du Khasso Sambala Hawa, Dinding Sambala Hawa, qui rejoindra la demeure conjugale avec un contingent de guerriers et de familles issues de toutes les classes sociales, allant des forgerons aux tisserands, aux griots, etc… Ces alliances sont d’emblée des pactes d’assistance mutuelle en cas d’agression. Dans le même temps il fait ennemis les chefs des autres provinces déjà sous le joug des français ou collaborant avec ces derniers. Il les attaquera comme il attaque les français. Son patriotisme et sa position conséquente anti française fait la base de la popularité d’Abdul Bookar auprès des jeunes. Le gouverneur Canard ministre des colonies témoigne le 20 mai 1883 : « les jeunes toucouleurs étaient tous ses partisans, endoctrinés par ses émissaires. Ils refusent d’obéir à des chefs alliés aux français comme Ibra Almamy, Ismaïla et le Lamtoro Sidiki »Aux chefs collaborateurs avec les français comme ceux du Lao et Yirlabe Pete, Abdul écrit : « il n’y aura pas d’accord entre nous tant que vous donnez aux infidèles la permission de  diviser le pays en cantons. Ceux qui refusent cette permission comme nous, sont nos amis, ceux qui sont avec les infidèles, qu’ils acceptent qu’ils sont nos ennemis »

Abdul Bokaar devient l’homme fort du Fouta

Abdul refuse de signer de nouveaux traités avec les français et considèrent les anciens comme nuls. Systématiquement il s’absente pour la signature de traités confirmant l’annexion de certaines provinces comme pour le Damga et le Tooro, en 1863 à Mbumba. Idem pour le traité de Galoya en octobre 1877.
En 1880, les français veulent conquérir le haut fleuve. Il leur faut des communications permanentes avec leurs postes, ils décident de construire le télégraphe. La ligne est construite et finie sauf sur 150 miles sur la section entre Salde et Bakel, zone d’influence d’Abdul Bocar qui refuse les conditions proposées.
En Avril 1880, un incident qui conduisit à la mort d’un des hommes d’Abdul Bokaar, qui revenait de Dembankane, poussa ce dernier à demander réparation aux français.
Abdul ordonna au chef de poste de Maatam 300 pièces de guinée à titre de  dommages et intérêts et menaça, en cas de refus, de mettre Maatam à feu et à sang. Devant le refus de ce dernier, Abdul Bocar battit le tam tam de guerre et projeta d’entrer dans le Laaw pour couper le fil télégraphique.
Il ordonna aussi la suspension de toutes les transactions commerciales et convoqua une assemblée extraordinaire à Hoore Foonde pour le 21 Avril 1880. L’assemblée avait à peine démarré qu’un courrier porteur d’une lettre du commandant de Bakkel Soyer à Abdul Bokaar arriva. Soyer priait Abdul de venir le plus rapidement à Maatam pour y recevoir les pièces de guinée.
En 1881, Abdul Bocar attaque avec 1500 guerriers la colonne Pons chargée de surveiller les travaux du télégraphe.
Les Français signent avec lui le traité de Gababè, le 16 mai 1881, que Abdul viole peu après en envahissant le Laaw protectorat français.
Le 14 août 1883, le traité de Mbolo exige de Abdul le respect du Laaw, ce qu’il ne fera pas. Les français répliquent en envoyant la colonne Voiron, appuyé par Ibra Almamy qui brûle le village de Dabia ce qui amena Abdul à transférer la capitale à Bokidiawé pour le restant de son règne.
Après trois années de lutte sans merci concernant le télégraphe, Abdul Bookar accepta un compromis et signe le traité de Hoore Foonde le 30 Août 1885, le seul vrai signé et accepté, avec le Gouverneur Seignac Lesseps. Loin d’être une reddition, ce traité peut même être qualifié de victoire.
Il marque la reconnaissance du leadership incontournable de Abdul Bookar Kan. Ce dernier autorise la construction de la ligne télégraphique, s’engage à protéger le commerce, autorise la construction du télégraphe, assure la maintenance. En contre-partie,
la France s’engage à :

  • respecter la coutume locale, 
  • rendre les esclaves fugitifs,
  • recruter la main d’œuvre locale,
  • payer à chaque travailleur fuutanke la somme d’une pièce de guinée tous les 3 jours. 
  • reconnaitre le droit des autorités du Fuuta à lever des  taxes sur tout troupeau destiné aux abattoirs de Saint-Louis.
  • une convention annexe reconnait à Abdul Bookar une rente annuelle de 2500 F avec paiement immédiat de  5000 F aux titres de 1883 et 1884.

C’est dire qu’Abdul Bookar obtient ce que Lat Joor n’a pu obtenir puisque ce dernier n’a pu ni empêcher la construction de la ligne des  chemins de fer, ni de faire prévaloir ses exigences au gouverneur. Normal donc qu’au  Fuuta Tooro en général et au Fuuta central en particulier, ce traité signé à Hoore  Foonde transforme Abdul Bookar en héros qui sut imposer aux français la paix à ses  conditions. Il devint véritablement l’homme fort du Fuuta central de la seconde moitié  jusqu’à la fin du XIXe siècle.
En 1888 les français deviennent plus exigeants sur la question des esclaves. Mataam est placé sous la juridiction d’Archinard Commandant du Haut Fleuve et très peu tolérant vis-à-vis des chefs locaux. Abdul comprend alors que les français reviennent peu à peu sur le traité de Hoore Foonde.

Accueil d’Albury Njaay et assassinat d’Abdul Bokaar Kane

En 1890 il accueille le Bourba Jolof Alburi Njaay, qui s’était enfui au Booseya après que sa capitale fut investie par le colonel Dodds le 24 Mai 1890 à l’aube. Le gouverneur Clément Thomas  demanda à Abdul Bookar de ne pas lui accorder l’asile. Le booseyaajo refuse et  accueille Alburi Njaay. Cette décision va détériorer à nouveau les relations entre Abdul Bokaar et les français, qui décidèrent d’en finir une bonne fois pour toutes avec lui.
Le gouverneur décida alors de lever une très forte armée avec même des  renforts venus du Dahomey. Une vaste coalition « anti-Abdul Bookar » se met en  place.
Le Gouverneur Lamothe décida de confier cette armée au colonel Dodds, commandant  supérieur des troupes du Sénégal, en novembre. En décembre 1890, départ de la colonne Dodds composée de 31 officiers, 700 hommes de troupes, 200 civils (interprètes, chameliers, muletiers, soofa). En plus de ces hommes, huit  chefs indigènes composés de wolofs et de Haal Puulaar, décident de participer à la  bataille finale contre Abdul Bookar. Il s’agit de :

  • du Waalo-Dimat avec Yamar Mbooj 
  • du Njaambur et du Merinagik avec Biram Njaay et Maajor Tyoro
  • du Kajoor avec Demba Waar Sal et Ibra Faatim Saar 
  • du Laaw et du Yirlaaɓe avec Ibraa Almaami Wan et Ismaila  Siley Aan 
  • et enfin du Damga avec Elfekki Aamadu  Bayla 

Au total 1170 cavaliers et 1461  fantassins vont à l’assaut d’Abdul Bokaar Kane.
Cette coalition reçut ces ordres du gouverneur : « Faire la guerre et non la palabre.  Marquer l’esprit des générations présentes et à venir, brûler tous les villages coupables d’attaque contre les courriers, les convois fluviaux et les incidents de poteaux télégraphiques et imposer de lourdes amendes, après avoir établi la responsabilité collective.»   Devant un tel déploiement, il était évident que les rapports de force devenaient trop  défavorables à Abdul Bookar. Cependant il résiste encore et établit son camp à Legleyta, d’où il descend pour attaquer la rive sud et est. 
En juin 1891, le Gouverneur décrète l’embargo sur le mil et les armes de Walalde à Bakel. Interdiction formelle de vendre des armes aux partisans d’Abdul.
Abdul rejoint Kayhaydi en compagnie d’Albury et plusieurs hommes. Pour anéantir la résistance, le gouverneur ordonna le bombardement de Kayhaydi causant beaucoup de morts. 
En juillet 1891, c’est la reddition de son fils ainé Mamadu Abdul et de son frère Aly Bocar Kane. Alors qu’Albury Njaay décide de partir rejoindre Amadu Sayku vers Nioro, Abdul se retrouve seul avec 100 guerriers. Pour éviter d’autres bombardements sur la ville, il quitte Kayhaydi pour aller chercher du renfort chez ses partisans maures.
Il est assassiné le 4 août 1891 sur ordre de Moctar Wul Usman pour toucher la prime et faire preuve de bonne volonté vis-à-vis des français.   
Conclusion
Voilà un homme qui a vécu et qui est mort pour le Fouta, refusant jusqu’au dernier souffle la colonisation de la terre de ses ancêtres, et refusant d’émigrer vers l’Est comme la plupart des résistants de l’époque.
Il n’a jamais signé 1 traité ni respecté un traité sauf celui de 1885 dont les termes étaient conformes à ses intérêts et ceux du Fouta. 
Il a lutté contre une vingtaine de gouverneurs dont : Faidherbe, Jauréguibery, Canard, Seignac Lesseps, Brière de Lysle, Clément Thomas, Lamothe, Ballot, Quintrie, etc…
Contre 6 colonnes : 1862 Jauréguibery et Faidherbe, 1877 Reybd, 1882 Pons, 1883 Voyron, 1890 Dodds, sans compter les convois fluviaux. 
De 1862 à 1891 son refus de collaborer avec les français reste constante.
Il ne mit jamais pied sur un bateau français n’ayant jamais fait confiance à ses derniers.
Ce n’est qu’avec sa disparition que la conquête du Fouta fut effective.
Seydi KANE ! (MDR)…